Anciens du Collège Sainte-Marie de Sierck

Le nucléaire militaire.Perspective stratégique

A propos du numéro spécial de la Revue Défense Nationale : « Le nucléaire militaire. Perspective stratégique  » (Eté 2015)

 

Jean Klein

Professeur émérite de l’Université de Paris 1 (Panthéon-Sorbonne)

 

On conçoit que la Revue Défense Nationale (RDN) dont la vocation est d’informer ses lecteurs sur les orientations de la politique de la France en matière de défense et de sécurité et de contribuer au débat sur les questions qu’elle suscite ait consacré un numéro spécial à la dissuasion nucléaire. En effet, plus de 50 ans se sont écoulés depuis la « mise en alerte opérationnelle » d’un escadron de bombardiers Mirage IV sur la base de Mont de Marsan, le 1er octobre 1964, et pour commémorer cet anniversaire un colloque sur les forces aériennes stratégiques (FAS) s’est tenu le 20 novembre 2014 dans l’enceinte de l’Ecole militaire avec la participation du chef d’état-major des armées, le général Pierre de Villiers et le ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian. Les intervenants qui exerçaient pour la plupart des responsabilités majeures au sein de la hiérarchie militaire ou dans l’industrie de l’armement se sont prononcés unanimement en faveur du maintien et de la modernisation de la Force nucléaire stratégique (FNS) qui demeure selon eux l’instrument privilégié pour écarter toute menace contre les intérêts vitaux du pays et garantir l’autonomie de décision dans la conduite de la politique étrangère. Certes, les organisateurs du colloque ne pouvaient pas faire abstraction de la « crise des fondements » qui affecte la dissuasion nucléaire depuis la fin de l’ordre bipolaire, ni ignorer l’opinion de ceux qui émettent des réserves sur sa validité dans le nouveau contexte international. Toutefois, la table ronde où l’on a débattu de « la pertinence de la stratégie de dissuasion française au XXIème siècle » était tenue en lisières et les contestataires de l’arme nucléaire n’ont pu s’y exprimer. Sans doute voulait-on éviter que des voix discordantes troublent la grand-messe célébrée en l’honneur des FAS et n’instillent le doute sur les vertus de la « paix forcée par l’atome » selon la formule consacrée jadis par le général Pierre Gallois.

 

La démarche du directeur de la Revue Défense Nationale, l’amiral Alain Coldefy, est différente dans la mesure où elle relève moins de la volonté de célébrer la stratégie de dissuasion que du souci de tirer les leçons de la pratique de la France en la matière et de s’interroger sur la place de l’arme nucléaire dans l’organisation de la sécurité des Etats et du monde. Le fait est que les cinq Etats dotés de l’arme nucléaire (EDAN) dont le statut a été consacré par le traité de non prolifération (TNP), ouvert à la signature le 1er août 1968, ne songent pas à s’en défaire sauf dans le cadre d’un désarmement général et complet dont la perspective est lointaine, sinon utopique. En outre, depuis l’entrée en vigueur du TNP (1970) quatre autres Etats - Israël, Inde, Pakistan et Corée du Nord - ont accédé à l’arme nucléaire et même si des doutes subsistent sur la crédibilité des stratégies qu’ils affichent on ne peut que prendre acte de leur attachement à l’arme suprême pour garantir l’intégrité de leur territoire ou la survie de leur régime (Corée du Nord). Enfin, la prolifération des armes nucléaires pourrait accroître l’instabilité dans des régions sensibles et conférer à des perturbateurs de l’ordre international une capacité d’intimidation qui limiterait considérablement le champ d’action des grandes puissances pour mener à bien des opérations de maintien et de rétablissement de la paix. Il ne saurait donc être question pour la France de renoncer à l’arme nucléaire qui conditionne l’indépendance de sa politique étrangère et lui permet d’exercer pleinement les responsabilités que lui confère son statut de membre permanent du Conseil de Sécurité. Au demeurant, la stratégie nucléaire fait l’objet d’un consensus entre les grands partis de gouvernement depuis la fin des années 1970 et semble recueillir l’approbation d’une majorité de Français.

 

Toutefois, l’amiral Coldefy estime à juste titre qu’on ne saurait négliger le point de vue de ceux qui s’interrogent sur l’adéquation de la dissuasion nucléaire pour parer les nouvelles menaces ou prônent l’abolition des armes nucléaires pour conjurer les risques qu’elles font peser sur l’humanité. Aussi a-t-il ouvert un espace de discussion où les opposants au nucléaire ont pu faire valoir leurs arguments. Il faut se féliciter de cette initiative car la défense et l’illustration de la stratégie de dissuasion française s’accommode fort bien d’un débat contradictoire sur sa crédibilité  et, s’il est bien conduit, il ne peut que renforcer l’adhésion de l’opinion publique à ce projet.

Le dossier paru dans le numéro de l’été 2015 de la Revue Défense Nationale sous le titre : « Le nucléaire militaire. Perspective stratégique » a été établi par Philippe Wodka-Gallien, dont la notoriété dans le domaine des études stratégiques est bien établie et dont les écrits ont retenu l’attention des spécialistes. On lui doit notamment un « Dictionnaire de la dissuasion » et il collabore régulièrement à la RDN. En qualité de membre de l’Institut français d’Analyse Stratégique (IFAS), il n’a pas manqué d’associer à la réalisation de son projet aussi bien le président de cet Institut, François Géré, que son directeur, Thierry Widemann. D’autres chercheurs attachés à des think tanks français (FRS, IRSEM, IRIS) et étrangers (BASIC, IRSD) ont également été sollicités pour éclairer les problèmes soulevés par la dissuasion nucléaire en France et dans le monde. Comme il se doit dans une publication qui relaie le point de vue officiel en matière de sécurité et de défense, une place importante est accordée aux responsables de la mise en œuvre de la force nucléaire stratégique (FNS) et aux représentants du CEA et des industries de l’armement qui s’expriment avec vigueur en faveur de la pérennité du modèle français de dissuasion. Les arguments qu’ils mettent en avant pour justifier le bien fondé de leur thèse ne sont pas dénués de pertinence et devraient intéresser tous les Français qui s’interrogent à la fois sur le rôle de l’arme nucléaire dans l’organisation de la défense de leur pays et sur les chances d’une réglementation internationale des armements qui permettrait de réduire, sinon de conjurer les risques de leur emploi. Il convient donc de saluer la parution du numéro spécial de la RDN en formant le vœu que ses lecteurs sauront en tirer des enseignements utiles.

 

Toutefois, il n’est pas sûr que ce vœu soit exaucé, car les 30 articles qui composent le dossier sont hétérogènes et de qualité inégale et ne s’articulent pas clairement à la problématique énoncée par Philippe Wodka-Gallien dans son article de tête. Ainsi on se serait attendu d’entrée de jeu à une présentation systématique des théories de la dissuasion élaborées dès le début de la guerre froide aux Etats-Unis et à un exposé soulignant les traits spécifiques du concept de dissuasion proportionnelle, dite du « faible au fort », adopté par la France sous l’inspiration des « quatre généraux de l’Apocalypse ». Or, les stratégistes américains comme Bernard Brodie, Thomas Schellling, McGeorge Bundy et Henry Kissinger, pour ne nommer que les plus célèbres, ne sont pas cités et il est surprenant que l’on se réfère à un article du général Montgomery du Strategic Air Command (SAC) paru en 1958 dans la revue Interavia pour définir la conception américaine de la dissuasion. Quant à la genèse et au développement du modèle français ils auraient mérité des développements plus substantiels et il eût été convenable de mettre l’accent sur la contribution du général Lucien Poirier à son élaboration à l’époque où il était attaché au Centre de Prospective et d’Evaluation (CPE) du Ministère de la Défense. Mais on a le sentiment que la plupart des auteurs qui ont collaboré à ce numéro semblent s’écarter de la voie qu’il a tracée et négligent de puiser dans ses essais de stratégie théorique des enseignements utiles pour adapter la stratégie de dissuasion française au nouveau contexte international. Ils préfèrent renouer avec des idées anciennes comme celle de « dissuasion multilatérale » lancée par le général Beaufre dans son livre « Dissuasion et Stratégie » (1964) ou celle de « sanctuarisation élargie » prônée en 1976 par le chef d’état major des armées (CEMA), le général Mery, dans l’espoir qu’une telle inflexion permettrait à la France de ne plus se cantonner dans la défense étroite de ses intérêts vitaux et d’offrir sa protection à des Etats, proches ou lointains, menacés par des puissances nucléaires.

 

De telles spéculations sont hasardeuses et ont peu de chances d’inspirer la politique gouvernementale à l’avenir. Il suffit pour s’en convaincre de rappeler la querelle entre le général Gallois (« Les Paradoxes de la paix », 1967) et le général Beaufre à propos de la « dissuasion multilatérale » et les malentendus qu’elle a provoqués au sein de l’alliance atlantique à l’époque où McNamara redoutait que les Etats-Unis soient entraînés dans un conflit majeur par le comportement erratique d’alliés dotés d’une force nucléaire indépendante. En définitive, ces malentendus se dissipèrent lorsque des assurances furent données aux Américains qu’il n’était pas question de conférer à la FNS la fonction de « détonateur » de leurs forces nucléaires stratégiques dans l’hypothèse d’une épreuve de force avec l’Union soviétique. Quant à la « sanctuarisation élargie » elle se heurta à une opposition vive de la part des gaullistes et fut récusée par le général Poirier. Dans un article paru dans le mensuel « Le Monde diplomatique » (juillet 1976), il démontrait que, la menace du recours à l’arme nucléaire ne pouvait être brandie d’une manière crédible que pour la défense des intérêts vitaux et que la participation de la France à une action armée dans le « deuxième cercle » (les approches terrestres et maritimes) ne relevait pas de la stratégie de dissuasion. En l’occurrence, il importait de ne pas compromettre l’autonomie de décision politique, cet invariant de la stratégie française, par des postures qui feraient « s’évaporer le concept rigoureux de dissuasion nucléaire du faible au fort dans celui de sanctuarisation élargie ». En définitive, le gouvernement dirigé par Raymond Barre se rendit à ces raisons et réaffirma la position traditionnelle de la France qui n’a plus été mise en question jusqu’à la fin de la « guerre froide ».

 

Depuis lors, on s’interroge sur la fonction de la stratégie de dissuasion française dans un monde où l’intégrité territoriale et l’indépendance de la nation ne semblent plus menacées par une agression directe mais où les risques se sont multipliés et où la violence « hybride» (terrorisme, cyber-attaques, rupture des lignes d’approvisionnement énergétique, etc…) ne peut pas être contenue par la menace du recours à l’arme nucléaire. Il est donc vain d’envisager un élargissement du champ de la dissuasion car les capacités limitées dont disposent les puissances moyennes ne s’y prêtent pas et les gesticulations nucléaires que préconisent certains pour contenir les ambitions de la Russie dans leur ancienne sphère d’influence (« l’étranger proche ») présentent plus d’inconvénients que d’avantages pour la gestion de ce type de crise. Sur le conflit qui a surgi entre l’Occident et la Russie à propos de l’Ukraine, les opinions qui s’expriment dans ce numéro sont divergentes comme l’attestent les contributions de Lars Wedin et de Philippe Migault, celui-ci préconisant une solution négociée qui implique une prise en compte des intérêts de sécurité de la Russie alors que celui-la prône une politique de fermeté et n’hésite pas à envisager une gesticulation avec des armes nucléaires tactiques pour faire pièce aux manœuvres d’intimidation russes contre les pays d’Europe centrale et orientale. Ce jeu est dangereux, car en s’engageant dans cette voie on accroît le risque d’une guerre nucléaire en Europe. A cet égard on lira avec profit l’article d’un ancien diplomate et membre de l’Académie des Sciences de Russie, Vladimir Tchernega, qui plaide en faveur d’une concertation étroite entre la Russie et les pays occidentaux pour éviter l’irréparable et parvenir à un règlement politique acceptable par leurs protégés respectifs. En tout cas, une réflexion approfondie sur l‘articulation entre action et dissuasion s’impose aujourd’hui et il convient de soumettre à un examen critique les concepts qui avaient cours dans le passé si l’on veut juger de leur pertinence dans le nouvel environnement stratégique. C’est à ce prix que l’on parviendra à une refondation de la stratégie de dissuasion de la France. Pour mener à bien une telle entreprise les travaux du général Poirier doivent être pris en compte1 et nous souscrivons pour notre part aux suggestions que formule son disciple, François Géré, lorsqu’il appelle de ses vœux un renouveau des études stratégiques en France. 2

 

Presque tous les aspects des problèmes soulevés par la dissémination et la détention de l’arme nucléaire sont abordés dans ce dossier mais on ne perçoit pas toujours la logique qui a présidé au classement des textes qui le composent. En l’occurrence, un regroupement thématique des articles eut été souhaitable ne serait-ce que pour faciliter la tâche du lecteur et mettre en évidence le caractère contrasté des opinions qui s’expriment sur ces sujets. Ainsi, on évoque le cas des nouvelles puissances nucléaires en Asie et au Moyen-Orient et les analyses qui leur sont consacrées sont rigoureuses et convaincantes, notamment celles qui portent sur le couple Inde-Pakistan, la Corée du Nord et Israël. Toutefois, on aurait pu préciser qu’elles se rattachaient à la problématique de la prolifération dont elles illustrent la complexité et les vicissitudes. Par ailleurs, un avocat du barreau de Paris établi à Bruxelles, Frédéric Mauro, plaide en faveur d’une européanisation des forces nucléaires françaises pour donner consistance à la politique commune de sécurité et de défense de l’Union européenne (UE) et estime que « l’activation de la coopération structurée permanente inscrite dans le traité de Lisbonne » serait le moyen approprié pour réaliser ce projet. La défense de l’Europe retient également l’attention d’autres auteurs comme la sénatrice, Leila Aïchi, membre du parti « Europe Ecologie. Les Verts » et le président de l’IFAS, François Géré qui contestent l’un et l’autre, en partant de prémisses différentes, la pertinence de la démarche proposée par Frédéric Mauro. Alors que Madame Aïchi, fidèle à son credo anti-nucléaire, ne conçoit la défense de l’Europe qu’avec des moyens classiques, François Géré voit dans la dissuasion nucléaire européenne un projet ambigu qui n’a aucune chance de rallier les suffrages des Etats membres de l’UE et qui perd de sa crédibilité à mesure que s’éloigne la perspective d’une « Europe-puissance » dotée de moyens militaires conjoints. Enfin, l’éthique de la dissuasion, qui avait fait l’objet de débat passionnés à l’époque où les Eglises chrétiennes d’Amérique du Nord et d’Europe avaient pris position sur la licéité de la menace du recours à l’arme nucléaire pour préserver la paix face à la menace soviétique, n’occupe qu’une place restreinte dans le dossier de la RDN. Certes, Nicolas Roche, directeur de la stratégie au sein de la direction des applications militaires du CEA, considère que les démocraties ne peuvent faire l’économie d’une réflexion morale sur l’arme nucléaire et estime que la participation du grand rabbin de France, Haïm Korsia, et de l’évêque de Troyes, Monseigneur Marc Stenger, président de la section française du Mouvement Pax Christi, à un débat récent sur cette question à Bruyères-le-Chatel témoigne de la volonté des pouvoirs publics de prendre en compte cette dimension de la stratégie. De son côté, François Géré est plus sensible à « l’érosion éthique » de la dissuasion, dans la mesure où il croit discerner au sein de l’Eglise catholique une dérive vers le pacifisme nucléaire et relève qu’une cinquantaine d’organisations issues des grandes traditions religieuses - bouddhiste, juive, chrétienne et musulmane - ont adressé aux Etats participants à la conférence d’examen du TNP qui s’est tenue à New-York, du 27 avril au 22 mai 2015, un appel en faveur de « l’option zéro ».

 

Sans contester le bien-fondé des observations faites par François Géré, il convient de rappeler que la doctrine sociale de l’Eglise catholique a subi des inflexions au cours des âges et que le pape François a durci le ton dans sa condamnation d’un système de sécurité fondé sur « l’équilibre de la terreur » comme l’atteste le message qu’il a adressé à la conférence de Vienne sur l’impact humanitaire des armes nucléaires, le 8 décembre 2014. Toutefois, il est peu probable que le magistère romain rompe avec l’approche prudentielle qui fut toujours la sienne depuis que la constitution pastorale Gaudium et Spes, adoptée par le concile Vatican II, a fixé les conditions auxquelles doit être subordonné un désarmement authentique : « Pour que la réduction des armements commence à devenir une réalité, elle ne doit certes pas se faire d’une manière unilatérale mais à la même cadence, en vertu d’accords et être assortie de garanties véritables et efficaces » (82, § 1). C’est en conformité avec cette tradition que Gabriel Delort Laval, prêtre catholique du diocèse de Paris et ancien auditeur de l’IHEDN, prend ses distances par rapport à la renonciation de la France à l’arme nucléaire et considère que sa possession est compatible avec une action diplomatique en faveur de l’instauration d’une paix juste. Il va même jusqu’à soutenir que « le statut de puissance nucléaire de la France ne lui serait pas reproché et pourrait même appuyer sa voix », si elle prenait une part active à l’édification d’un monde où l’idée même de guerre serait bannie. De tels propos dans la bouche d’un prêtre peuvent déconcerter les esprits iréniques mais il est peu probable qu’ils soient désavoués par les instances de l’Eglise catholique car ils ne contredisent pas ses enseignements sur l’éthique de la guerre et de la paix.3

 

En dépit des réserves que nous inspire le caractère composite de ce dossier, on doit saluer son apport à une meilleure compréhension de la stratégie de dissuasion de la France. En effet, son maître d’œuvre, Philippe Wodka-Gallien, a eu le souci d’associer à la réalisation de son projet des personnalités représentatives des forces armées et de l’industrie d’armement ainsi que des analystes patentés des politiques de sécurité et de défense. Leurs contributions, bien argumentées et solidement étayées, permettent au lecteur de se faire une opinion raisonnée sur la qualité de l’outil dont s’est dotée la France pour préserver ses intérêts vitaux et sur les investissements nécessaires pour maintenir son efficacité. A cet égard, la plupart des auteurs s’inscrivent en faux contre une politique consistant à sacrifier une composante de la FNS pour dégager des ressources susceptibles d’être affectées au renforcement des capacités conventionnelles. C’est que l’armée de terre ne bénéficierait pas nécessairement des économies réalisées sur les forces nucléaires et que du fait de l’unité intrinsèque entre l’action et la dissuasion l’effort consenti pour celle-ci a un effet d’entraînement sur l’ensemble de l’appareil de défense. Dans un contexte international où la compétition est intense, il importe donc de préserver le savoir faire nécessaire pour la production d’équipements de haute technicité en sachant que l’exploitation des compétences développées pour la dissuasion a des retombées dans le domaine des armements conventionnels.

 

Mais par delà le plaidoyer en faveur de la dissuasion, les problèmes que soulève son adaptation au nouveau contexte international ne sont pas ignorés et on trouvera dans ce dossier des réflexions pertinentes sur les voies susceptibles d’être empruntées pour contribuer à leur solution. A cet égard, on lira avec intérêt l’article de l’ancien directeur de la RDN, l’amiral Jean Dufourcq, où il esquisse les contours d’un nouveau concept axé sur la neutralisation de « perturbateurs » plus ou moins bien organisés qui s’en prennent à nos « intérêts essentiels, à notre population, à notre société » en usant de moyens violents qui ne sont pas justiciables du recours à l’arme nucléaire. Seule une capacité d’intimidation s’appuyant sur la détention d’armements modernes permettrait de les mettre hors d’état de nuire mais la mise en œuvre d’une telle stratégie postulerait une « revalorisation des tactiques anciennes » et une approche globale à laquelle les partenaires de la France devraient être associés. Il ne saurait être question de résumer ici le projet de l’amiral Dufourcq qui procède d’une recherche conduite depuis quinze ans et mérite un examen attentif, surtout après les actions terroristes qui ont ensanglanté Paris et l’Île de France, le 13 novembre 2015. Elle a débouché récemment sur la publication d’un livre dont la lecture s’impose à tous ceux qui se préoccupent de l’image de la France dans le monde et souhaitent qu’elle se dote de moyens lui permettant de participer activement à l’organisation de la sécurité internationale.4

 

Enfin, une place est accordée aux contestataires de l’arme nucléaire qui ont eu toute latitude pour exposer leurs vues en la matière et ne se sont pas privés de mettre en avant les arguments favorables à une élimination totale des arsenaux nucléaires. Certes, il n’est pas question de nier les risques liés à l’âge nucléaire et l’on célèbrera l’an prochain le 70ème anniversaire de la résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies du 26 janvier 1945 qui avait confié à une commission où étaient représentés tous les Etats membres du Conseil de Sécurité le soin d’élaborer des plans de désarmement garantissant l’utilisation de l’atome à des fins exclusivement pacifiques. On sait que l’antagonisme Est-Ouest n’a pas permis d’atteindre cet objectif à l’époque de la guerre froide et que la paralysie actuelle de la conférence du désarmement de Genève ne laisse pas bien augurer du succès de cette entreprise à l’avenir. Dans ces conditions les perspectives d’un monde sans armes nucléaires sont lointaines et elles ne pourraient se concrétiser que si l’on parvenait à conclure au préalable un « traité de désarmement général et complet sous un contrôle international strict et efficace » (article VI du TNP).

 

S’agissant de la France, une renonciation unilatérale à l’arme nucléaire ne contribuerait pas à conjurer les risques d’accident nucléaire que redoutent Jean-Marie Collin et le général Bernard Norlain et il est illusoire de penser qu’un tel geste inclinerait les autres puissances dotées de la bombe à y renoncer à leur tour. Comme nous avons déjà donné notre sentiment sur les perspectives d’un monde sans armes nucléaires dans un article paru l’an dernier dans cette revue5, nous nous abstiendrons de prolonger cette controverse. En revanche, nous approuvons sans réserve le parti pris par la direction de la RDN d’offrir à ses lecteurs la possibilité de juger de la pertinence de la stratégie de dissuasion française au terme d’un débat ouvert où toutes les parties concernées ont pu se faire entendre.

 

 

 

1 Nous songeons en particulier à « La crise des fondements » par Lucien Poirier (Economica, 1994) et à « La réserve et l’attente. L’avenir des armes nucléaires françaises » par Lucien Poirier et François Géré (Economica, 2001)

2 Voir son article : « Faute de frappe ou l’érosion de la stratégie française de dissuasion nucléaire »

3 Pour une présentation de la position de l’Eglise sur ces questions, nous renvoyons à l’ouvrage de Michel Drain publié sous les auspices de l’Institut catholique de Paris, la Commission Justice et Paix et la section française du mouvement catholique international Pax Christi : « La paix sans la bombe ? Organiser le désarmement nucléaire » - Paris, Les Editions de l’Atelier/Editions ouvrières, 2014, 143 p.

4 « Engagez-vous. La relance stratégique de la France » par l’amiral Jean Dufourcq - Editions Lavauzelle, B.P. 87350 Panazol, 2015, 138 p.

5 Voir « La mise en question de la dissuasion et les perspectives d’un monde sans armes nucléaires » par Jean Klein - Défense et Stratégie, N° 34, hiver 2013

 

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